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Le backlash écologique jusque dans les collectifs : « La priorité est donnée à la performance économique »

Dernière mise à jour : il y a 7 jours

Le retour de bâton est là. Dans les milieux politique et médiatique, il n’est plus à prouver, que ce soit aux Etats-Unis trumpisés en tête, mais également au niveau européen et national. Pour les entreprises, et les salarié·es engagé·es en leur sein, la situation est moins limpide. Décryptage.


Illustration réalisée sur Canva
Illustration réalisée sur Canva

C’est une question qui revient souvent. Après les espaces politique et médiatique, est-ce au tour des entreprises de faire les frais du retour de bâton écologique ? Dans les sphères écologistes, c'est une préoccupation. Pour certains, il ne fait de doute que les entreprises sont en train de subir de backlash, alors que d'autres alertent contre un risque de prophétie auto-réalisatrice.

Premièrement, ces espaces sont interconnectés : « L’agenda politique où il y a le backlash va avoir un impact sur les entreprises à travers l’aspect normatif », explique Nathalie Moncel, économiste du travail au CEREQ et co-autrice de « La transition écologique au travail : emploi et formation face au défi environnemental », et « Normes environnementales : quels effets sur le travail et les formations ? »

Pour elle, « l’écologisation du modèle d’entreprise » est principalement provoquée par l’incitation et l’obligation législative. « En ce sens, la loi Climat et résilience de 2022 était le plafond de l’action publique pour l’écologie. » Et si cette loi n’est pas remise en cause, au niveau européen la remise en question de la CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) et du devoir de vigilance, entraînent un retour en arrière sur les obligations des entreprises.
La notion de backlash désigne une contre-offensive conservatrice contre une forme de progrès social. Il est en question sur plusieurs sujets que ce soit le droit des femmes et des minorités ou en sciences politique. Son utilisation relève d'une interprétation téléologique, à savoir fondée sur la cause finale. En d'autre termes, en parlant de backlash, on présuppose une contre-offensive temporaire, qui ne ferait que ralentir une vague progressiste. En complément de la notion de backlash, il peut aussi être fait mention de celle de l'effet cliquet. Celui-ci désigne un progrès irréversible sur lequel aucun backlash ne serait en mesure de revenir.
Un coup pour la motivation

La chercheuse identifie deux typologies d’entreprise : « Pour les entreprises qui bifurquent de façon militante, ça ne va pas changer grand-chose. Pour le reste, la majorité, ça va évidemment freiner ces transformations coûteuses pour l'entreprise. » L’incertitude sur les retours en arrière ajoute une difficulté pour ces firmes : « Certaines ont choisi volontairement d’anticiper les obligations et le backlash normatif va leur faire perdre leur avantage comparatif. »

En tant que directrice générale de la fresque du climat et membre du bureau de la CEC (Convention des Entreprises pour le Climat), Corinne Bazina observe de près ces évolutions : « Au moment du retour en arrière sur la CSRD, j’ai senti que les directions RSE avaient pris un coup dans leur motivation. Avant même de voir les conséquences concrètes, ils se sont dit que ça allait être plus compliqué et qu’il n'y avait plus le vent derrière eux. »

Chez la Fresque du Climat, elle identifie un frein sur la période récente mais qu’elle associe plutôt à la question du « pivot majoritaire » et au fait de devoir maintenant sortir de sa bulle. Elle parle d'un certain essoufflement : « Les clients naturels ne viennent plus spontanément à nous, il faut aller chercher les moins convaincus maintenant. »

À cette première difficulté s’ajoute aussi une baisse des budgets, RSE ou non, de nombreuses entreprises. Sur ce point, bien que cela puisse participer au backlash, il faut plutôt y voir, d'après Corinne Bazina, l'effet de la conjoncture économique actuelle. Ces baisses de budgets sont d'autant plus importantes depuis septembre, précise-t-elle.

Une augmentation par rapport à 2024

En revanche, le retour de bâton est prégnant pour les entreprises américaines ou en lien proche avec le marché outre-Atlantique. « Concrètement, dans ces boîtes on me répond que c’est même pas en rêve alors qu’il y a six mois ils étaient intéressés par le sujet. La porte est fermée. »

Dans une étude de juillet menée par GlobeScan, ERM et Volans, il est montré que parmi 844 experts de la transition environnementale répartis dans 72 pays, 70 % estiment qu’il y a un backlash significatif soit 13 % de plus qu’en 2024.

Géographiquement, c’est le cas de 91 % des experts nord américains, 71 % des européens, mais seulement 38 % de ceux en Asie-Pacifique.


À l’échelle des 130 collectifs du réseau Les Collectifs, les entreprises proches des Etats-Unis sont aussi celles où les effets sont le plus observables dans la majorité des cas. Dans les chiffres du réseau, il n’y a néanmoins pas de baisse du nombre de sollicitations de salarié·es engagé·es. Pour autant, la plupart des référent·es expriment une période difficile : « On sent très clairement une baisse de mobilisation de l'entreprise dans son engagement mais aussi des membres du collectif. »

« Les entreprises sont dans l’attentisme. »

Une autre référente ajoute que « la priorité est donnée à la performance économique » et un troisième précise que si dans son collectif la motivation des salarié·es est inchangée « c’est plus difficile pour les allié·es qui sont moins disponibles ». Tous deux précisent ne pas savoir s’il faut imputer ces transformations au backlash ou simplement à la période économique.

Un point commun relevé dans le réseau concerne néanmoins les changements dans la communication des entreprises qui mettent moins en avant les actions RSE et celles des collectifs. Pour certains, cela passe aussi par l'adaptation du vocabulaire avec le remplacement du régénératif par l'adaptation. Dans le collectif en question, ce changement n'est pas simplement sémantique. Son référent décrit que dans la situation, et avec le recul d'engouement de la direction, le niveau d'ambition des actions menées par son collectif baisse.

D'une entreprise à l'autre, la situation n'est pas homogène. Ainsi, même si, majoritairement, la période n'est pas à l'engouement, certain·es référent·es de collectifs n'observent aucune inflexion au sein de leur organisation.

Dans son entreprise, Clément, référent d’un collectif dans le secteur du conseil et de la donnée, observe une baisse des ventes de produits durables : « Depuis un an, on ne vend plus de projet en lien avec la CSRD, les entreprises sont dans l’attentisme. » Ne plus avoir une partie de la croissance liée à la transition écologique n’aide pas son collectif qui n’a plus le vent en poupe. Et même s’il estime avoir la chance d’avoir une direction « très accompagnante », Clément relève les effets du backlash dans son collectif : « On a mené 30 % d’action en moins par rapport à il y a un ou deux ans : c’est directement lié à la motivation du groupe. »

En interne, il constate une évolution à trois niveaux : « Les 10 % les plus actifs sont toujours motivés mais un peu plus déprimés, la masse des 80 % de silencieux·se sont moins impliqué·es parce qu’ils sentent qu’il y a un moins d’impact, et les 10 % de réfractaires ont moins de problème à l’être ouvertement. » Pour les membres les plus motivé·es il décrit l'impression d'être à « contre-courant ».  

Backlash, crise économique, un peu de tout, ou rien de ça... l'écologisation des entreprises n'est en tous cas pas au pic de la vague.

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